DOSSIER: Orphan Work Bill

L’affaire secoue le monde la photo aux Etats Unis depuis le mois d’Avril. Pétition, appel des associations, articles et réactions, l’Orphan Work Bill est de retour! Après plusieurs tentatives, le texte qui limite notamment les recours en cas de violation du copyright semble être sur le point d’être adopté par la Chambre et le Sénat Américain. Danger réel ou simple aménagement, état des lieux sur le Copyright Act et sa nouvelle extension l’Orphan Work Bill.


Qu’est ce qu’une oeuvre orpheline (Orphan work)?

Une œuvre orpheline est une œuvre protégée par le copyright et pour laquelle il est difficile voire impossible de localiser le détenteur des droits.
Cette situation peut survenir pour plusieurs raisons. L’auteur peut n’avoir jamais été connu car l’œuvre a été publiée de manière anonyme, ou que l’œuvre n’a jamais été publiée auparavant. L’identité de l’auteur peut avoir été connu mais perdu au cours du temps. Enfin l’auteur peut être connu mais les ayant droit ou les détenteurs des droits peuvent être, eux, inconnus.
En fait, toute œuvre pour laquelle un effort raisonnable a été entrepris pour rechercher l’auteur et dont le résultat ne débouche sur rien peut être considéré comme une œuvre orpheline.

Aux Etats-Unis, plusieurs offensives ont été lancées pour  faire passer le « Public Domain Enhancement Act », régissant les œuvres orphelines. C’est sous l’intitulé House Bill 2601 que le texte est présenté pour la première fois pendant la 108ème session du Congrès en 2003, mais il ne passe pas. La seconde tentative sous la nomination House Bill 2408 durant la 109ème session du Congrès en 2005, échoue également. Grosso modo, le projet de loi prévoit notamment de libérer certaines œuvres orphelines dans le domaine public si leur enregistrement n’est pas fait dans les règles.

En janvier 2006, après de longues études, le bureau du Copyright aux Etats Unis rend public un rapport sur les œuvres orphelines. C’est le Copyright Act qui régit depuis 1976  le droit d’auteur : la loi révisée facilite l’obtention et le maintien des droits sur les œuvres par rapport à la loi de 1909. Celles ci sont protégées du moment qu’elles sont fixées à un support tangible et n’ont pas besoin d’être enregistrées auprès du bureau du Copyright pour bénéficier d’une protection. La loi de 1976 modifie également la durée de protection, portant son effet jusqu’au décès du propriétaire des droits, période majorée de 50 ans (extension maintenant passée à 70 ans).

Ces modifications apportées à la loi de 1909 par le Copyright Act de 76 ont permis aux Etats-Unis d’entrer en conformité avec la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques signée en 1886, qui interdit les formalités d’enregistrement et de renouvellement comme condition de jouissance à l’exercice du droit d’auteur.
Problème, en n’offrant plus la possibilité de se référer à un registre spécifique, il est devenu très difficile de vérifier si une œuvre se trouve dans le domaine public, d’identifier son auteur ou le détenteur des droits.

Plusieurs recommandations se trouvent dans le rapport remis par le bureau du Copyright en janvier 2006. Exploiter les alternatives existantes dans la loi de 76 pour ne pas violer les droits des œuvres orphelines (copie des parties de l’œuvre non couverte par le copyright, fair use, utilisation d’une œuvre dont ont possède l’autorisation d’exploitation). Créer une nouvelle législation fixant des recours limités par le détenteur des droits du moment que l’utilisateur prouve sa bonne foi dans l’étendue de ses recherches.

Après plusieurs tentatives, le texte sur les œuvres orphelines présenté par Lamar Smith sous la référence H.R. 5439 a été présenté au Congrès le 24 avril 2008. Le texte intégral de la version du Sénat (Ref S.2913), disponible sur le site internet du Sénateur Patrick Leahy introduit l’idée dans son article 3  « d’une base de donnée d’images, de graphiques et de travail sculptural » et précise que « le bureau du copyright doit créer un processus de certification pour la mise en place de données électroniques des œuvres visuelles.
Le bureau du copyright doit publier sur Internet une liste de tous les registres électroniques certifiés.

Un texte équivalent est également disponible à la Chambre des Représentants sous la référence H.R. 5889.

Coté photo.
La réaction à cet Orphan-work Bill ne s’est pas faite attendre. Essentiellement aux Etats Unis, mais également en Grande Bretagne. Les associations de photographes (NPPA, EP, APA, SPAR etc…) s’inquiètent des conséquences de cette loi sur les images non créditées qui pourraient être, alors, récupérées gratuitement. Selon Nancy Wolff, avocate auprès du Picture Archive Council of America (PACA), les deux géant du stock et de l’éditorial, frères ennemis depuis toujours, Corbis et Getty se sont associés récemment et ont engagé le lobbyiste Steven Metalitz pour combattre la proposition.

Dans le camp des supporters de la proposition on retrouve évidemment Google, pour qui le Orphan-work Bill permettrait de concrétiser son projet Google Print (projet de numérisation de tous les livres de quelques principales bibliothèques des états Unis) ainsi que les artistes adhérents au groupes Copyleft et son petit frère Créative Commons Group, qui souhaitent réutiliser d’autres œuvres pour leur propres créations.

Autre support, et pas des moindres, les groupes Culturels à but non-lucratifs, qui regroupent pêle mêle  Bibliothèques, Musées et Archives. Ceux là veulent mettre les œuvres orphelines à disposition des étudiants, chercheurs ou restaurateurs afin d’en assurer l’étude, la divulgation scientifique la conservation et la préservation. Un but noble, déjà régit par la doctrine du « fair use », doctrine assez limitée puisqu’elle n’empêche pas les poursuite pour violation des droits.
Le monde de la presse n’est évidemment pas indifférent et voit également d’un très bon œil cette proposition qui renforcerait leur position de donneur d’ordre vis à vis d’une industrie en crise.

Qu’en est il de la réalité ?

La loi ne propose pas de supprimer les droits liés aux œuvres orphelines.

La loi limite « à une compensation raisonnable » le montant des dommages et intérêts auxquels peut prétendre le détenteur revendiqué des droits de l’œuvre, après qu’il ait été fait preuve des efforts de recherche de l’utilisateur et de sa bonne foi. Malheureusement, aucun registre de copyright disponible aujourd’hui ne couvre un domaine particulier (comme la photographie, les arts graphiques) ou requiert une recherche d’après métadonnées (critère d’ailleurs non recevable devant la plupart des tribunaux aux Etats Unis Ref : Judge Patel in Napster Case ), rendant quasi impossible le succès de telles recherches.

La loi n’impose pas l’enregistrement (ce qui serait une violation du traité de Berne) mais implicitement, tout créateur qui n’enregistrerait pas son travail dans l’un de ces registres électroniques prendrait le risque de voir son travail devenir « orphelin » par qualification.
Cette obligation officieuse d’enregistrement auprès d’un registre privé certifié par le gouvernement Américain autorise deux choses :

1)    L’émergence de structures privées qui offriront l’enregistrement des données dans leurs registres (conformément au traité de Berne), mais factureront très certainement l’hébergement de celles-ci dans leurs serveurs. Ce qui pose la question de l’universalité des droits d’auteurs.

2)    Le contrôle des données et leur diffusion à des tiers (entreprises de merchandising, publicité ou autre) équivalent aux « fichiers clients » déjà largement échangés entre les prestataires de services et les publicitaires.

Il est vrai que la loi n’encourage pas les mauvais comportements, cela si le comportement de chacun est exemplaire. Ce qui est rarement le cas ! ll est probable qu’un certain nombre d’acteurs égareront leurs registres et seront donc incapables de prouver si les recherches nécessaires à la localisation du propriétaire des droits ont été effectuées avec le soin quelles méritaient. C’est donc l’opportunité au mensonge qui est offerte à l’utilisateur pour lui éviter des poursuites conséquentes.

Pour les points positifs
Si le danger est grand pour le créateur, quel qu’il soit, le danger est encore plus grand pour l’industrie sur laquelle repose l’exploitation des droits de reproduction. Il est donc envisageable de voir d’ici à 2009, une réaction des agences photo. Une attention accrue sur le crédit des images, le remplissage des champs IPTC, l’implémentation des mots clefs et des coordonnées des photographes et de leurs agents pourront à coup sur limiter la casse.

Une harmonisation inter-agence pourrait également permettre de pousser l’efficacité à un point tel, qu’il serait difficile à un utilisateur de contester l’existence de ces informations.
Fort à parier également que les technologies d’implémentation des champs IPTC, les Thésaurus et autres digimarc, les services de recherches et les outils d’indexation d’images vont retrouver un second souffle dans ce climat de suspicion général.

Pour les points négatifs

Cela dépend largement de la production photo envisagée et notamment de la proportion de vos revenus France/Etranger, mais pas seulement. Si vous disposez de votre propre plateforme de diffusion internet, si vous traitez en direct avec les magazines (mêmes étrangers) et si vous ne consentez en aucun cas à un buyout, vous minimisez le risque de violation du copyright.

En revanche (et c’est assez souvent le cas) si votre rediffusion se fait par le biais d’agences photo – en stock notamment – que vous ne gérez aucune plateforme de diffusion etc etc… les risques augmentent. Les accords commerciaux entre groupes de presse, agences et diffuseurs sont amenés à se globaliser, s’entendre et s’enchevêtrer, multipliant ainsi les brèches et les risques de piratage.

Ce qui est à craindre est plus une utilisation commerciale dans un but marketing ou de merchandising, et c’est d’ailleur le point d’achoppement des associations de photographes. Voir son cliché sur tous les T-shirts ou Coffe Cup des Etats-Unis sans que vous ayez donné votre accord et sans réel possibilité de dédommagement, voilà qui fait réfléchir.

Un petit Rappel, Alberto Korda, photographe cubain, auteur du cliché mythique de Che Guevara pris le 5 mars 1960, céda gratuitement les droits de l’image à l’éditeur Italien Giangiacomo Feltrinelli. Cette image fit la gloire du premier et la fortune du second. Fort à parier que Korda aurait également apprécié la fortune !

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